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Hommage spécial de "Perspectives France Israël" - Jean-Jacques Servan-Schreiber

Correspond à la page : 139

Note de l'auteur

Hommage du fondateur de "L'Express".

Retranscription

Un magistrat unique

Par J.-J. SERVAN-SCHREIBER

De passage à Paris entre un débat en Allemagne avec les hommes politiques de la République Fédérale sur la construction de l'Europe, et une série de rencontres à Barcelone, Madrid et Pampelune avec les étudiants espagnols actuellement en rébellion contre leur régime, je ne peux que dicter quelques mots, à la demande de I' « Alliance France-Israël » pour contribuer au souvenir de Lucien Rachline. Il faudra bien plus que ces témoignages pour que l'image de Lucien reste vivante, très longtemps, au milieu de nous tous.

C'est dans un passage à Paris comme celui-ci que je ressens le vide désastreux créé par la mort de Lucien. D'ordinaire, j'allais le voir, et reprendre courage auprès de lui.

Au milieu de toutes les batailles de la société moderne, les batailles politiques comme les batailles industrielles, Lucien était l'arbitre. Il était à la fois celui qui connaissait les problèmes et qui avait combattu lui-même sur tous les fronts, et celui qui s'était volontairement retiré des luttes et des ambitions pour assurer la survie de sa famille décimée par les Nazis.

Cette position unique qu'occupait Lucien dans la société française faisait vraiment de lui l'arbitre suprême chaque fois qu'on conflit éclatait entre des amis. On s'en remettait à Lucien qui dictait la Loi. On savait que son verdict n'était entaché d'aucune ambition personnelle et d'aucun intérêt particulier, Il était le Juge. S'il n'est pas irremplaçable un jour, il est actuellement, et je le crains pour longtemps, irremplacé.

Tous les hommes qui luttent ont l'esprit occupé par une stratégie et ne peuvent faire abstraction d'arrière-pensées. Lucien, établi dans sa magistrature morale, n'avait ni stratégie ni arrière-pensée. C'est pourquoi chacun de nous avait recours à lui lorsqu'il s'agissait de bien mesurer les conséquences d'une action avant de l'entreprendre.

Personnellement je ne me souviens pas, dans les quinze dernières années, avoir engagé un combat, une construction, une épreuve, sans prendre l'avis, et sans obtenir l'accord de Lucien. Sinon je renonçais. J'aurais été extrêmement mal à l'aise s'il m'avait fallu passer par-dessus son jugement.

J.-J. SERVAN-SCHREIBER

Original

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