Lettre de Casimir Prévost à Suzanne Rachline
Correspond à la page : 63Note de l'auteur
Lettre ambiguë par laquelle Casimir Prévots, mis en place par Lazare Rachline, rend compte à Suzanne Rachline des difficultés auxquelles il fait face.Retranscription
Le 24/10-40
Ma chère Suzanne
J’ai bien reçu vos dernières lettres. Je suis navré de vous savoir souffrante et aussi désorientée. Je reconnais qu’il y a de quoi mais vous êtes courageuse, il ne faut pas vous laisser abattre. Pensez à vos enfants, à votre mari. C’est un très mauvais moment à passer. Et nous sommes malheureusement impuissants et devons nous incliner devant la force. Je suis moi-même très ennuyé de vous savoir aussi éloignée et je me demande souvent si je n’aurais pas dû vous encourager à rentrer. Nul ne peut prévoir l’avenir. Que se passera- t-il ici ? – Là-bas au moins je suis vous ne courrez aucun risque – ne craignez pas de m’ennuyer, vos lettres me font toujours grand plaisir et excusez-moi si je ne vous écris pas plus souvent. Vous savez que je suis très pris par l’usine. Je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que l’affaire passe sans trop d’encombres les jours difficiles que nous traversons. Depuis ce matin il y a de nouvelles instructions des autorités occupantes au sujet des maisons israélites. Il faut encore faire de nouvelles déclarations et ces messieurs envisagent de mettre un commissaire-gérant à la tête des plus importantes. Pour nous je ne crois pas que nous courrions ce risque, puisque les dirigeants israélites ne sont pas là et que c’est moi, fort heureusement pour le moment, catholique qui ai la responsabilité de l’affaire. - J’ai vu votre père au sujet de l’appartement. Il voudrait enlever les meubles les plus précieux. Ne pouvant m’en occuper assez activement moi-même j’ai mis Mr Hesse à sa disposition. Bien entendu quand il me le demandera je mettrais un camion à sa disposition. Il est très affecté par tout ce qui se passe et a besoin qu’on lui remonte le moral. J’avoue que le nom du notaire que vous m’aviez donné tout d’abord m’avait étonné – maintenant je comprends mieux – malheureusement pas grand-chose à faire de ce côté : la légalité est en vacances – mauvaise nouvelle pour votre belle-mère : les allemands lui ont déménagé sa villa avant-hier pour en meubler une autre dont ils prenaient possession. Il ne reste qu’un lit, une table et une chaise. J’ai envoyé Hesse trouver le maire. Il n’y a rien à faire. L’enlèvement est pris en note par la mairie, mais elle ne pourra rentrer en possession de ces meubles qu’après leur départ, à condition toutefois qu’ils ne les aient pas transportés ailleurs. - Si vous décidiez de rentrer, il faut le faire comme réfugiée. Je n’ai pu ici obtenir les papiers nécessaires. - Je crois que vous pouvez le faire là-bas. Les beaux-parents de Hesse sont rentrés il y a trois ou quatre jours sans difficultés.- je vous laisse libre de décider. – Il est évident que cela vaudrait mieux pour votre appartement, mais à mon le bien le plus précieux n’est-il pas votre vie à tous – vous êtes sains et saufs, le côté matériel passe après. - Quand Lazare sera revenu, vous regagnerez vite ce que vous avez perdu. – Croyez que si je vous parle ainsi c’est seulement mon affection pour vous qui me guide, car pour ma tranquillité personnelle j’aimerai bien mieux vous avoir près de moi, ce serait beaucoup plus facile pour vous venir en aide. J’ai reçu une lettre de Vila datée du 4 octobre. Il allait bien. - Rien de Lazare, j’espère que vous en avez reçu. Je lui envoie une carte de temps en temps, ne contenant que des banalités pour être sûr qu’elle lui parvienne. Madame Prevost rentre demain. Sa jambe ne va pas très bien et elle va devoir rester allongée elle aussi. Surtout si vous souffrez des jambes soignez-vous bien. Il est vrai qu’à votre âge c’est moins grave. Mes amitiés à votre mère – Embrassez les enfants.
Je vous embrasse affectueusement pour nous deux
Prevost
Rien de nouveau pour la B.F. ce ne sera plus long maintenant Je l’espère.