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Hommage spécial de "Perspectives France Israël" - Jean Pierre-Bloch

Correspond à la page : 138

Note de l'auteur

Hommage de celui que Lazare Rachline fit évader du camp de Mauzac, en juillet 1942, et qui fut un ami de longue date.

Retranscription

Lucien Rachet

par PIERRE BLOCH

On ne voulait pas le croire, mais hélas ! la triste réalité est là ; Lucien Rachet mon ami de plus de trente ans, Lazare Rachline est mort. Un homme, un patriote au service des grandes causes humaines, c'était aussi un camarade de combat très cher ; un homme que d'autres hommes ne pourront oublier.

Soldat, résistant, défenseur farouche d'Israël. Dans tous ces domaines il faisait notre admiration, il s'acquitta de sa tâche avec une foi, une énergie et un dynamisme dont nous garderons longtemps le

souvenir.

Il était né en Russie, pays qu'il quitta très tôt, la France devint sa patrie ; il l'aima de toutes ses forces, comme une mère, et l'on sait combien Lucien chérissait sa mère. Farouchement antimunichois, dès que la guerre éclate, il s'engage, il ne veut se prévaloir ni de sa qualité d'ingénieur, ni de son titre de père de famille nombreuse, il ne pense qu'à une chose, partir au plus vite en première ligne ; son patriotisme n'était pas verbal.

Non sans mal, après avoir fait jouer ses relations, il part dans un régiment d'infanterie. Prisonnier, évadé, il traverse toute l'Allemagne pour rejoindre les rangs de la résistance. D'autres dans d'autres pages diront les détails de son action, la lucidité et le courage avec lesquels il a servi la résistance. Sa sérénité, sa scrupuleuse dignité, n'étaient inféodées qu'à son idéal, qu'aucun honneur, qu'aucune fonction, aucune épreuve n'auraient pu faire varier.

Pour moi, je le revois après l'évasion sensationnelle du camp de Mauzac qu'il avait organisée de main de maître, son sourire, sa joie, et cette assurance dans la victoire finale.

Cher Lucien, je t'ai vu presque tous les jours pendant ta cruelle maladie qui ont précédé ta fin. Tu savais à quoi t'en tenir, tu trouvais le moyen de plaisanter et tu évoquais avec beaucoup d'émotion les souvenirs de la résistance, les combats communs, et tu t'interrogeais sur l'attitude de la France à l'égard d'Israël, tu voulais connaître tous les jours les informations que la presse donnait sur les derniers événements et tu ne trouvais avec juste raison aucune contradiction entre ton amour pour la France et ton amour pour Israël.

Il y a deux mille ans Philon d'Alexandrie qui était à la fois un très bon Egyptien et un excellent Juif, disait : l'Egypte est ma patrie temporelle et Israël est ma patrie spirituelle, l'une est comme mon père, l'autre comme ma mère. Un enfant peut aimer à la fois son père et sa mère, l'amour de l'un pour l'autre ne doit pas susciter un sentiment de jalousie. Tu étais exactement dans cet état d'esprit.

Cher Lucien, jusqu'à la dernière minute, tu nous a donné une magnifique leçon de courage ; entre tes amis et toi, il y avait un étonnant échange : ils recevaient de toi les dons de ta sagesse et de ton dévouement ; toi, tu puisais en eux l'inspiration pour tous tes combats.

Au nom de l'amitié dont il avait le culte, je veux dire ici notre perte pour que l'on sache notre douleur. Nous tous, tes amis de tous les combats, ceux de l'avant-guerre, ceux de la guerre, et ceux de l'après-guerre, il nous reste un devoir : garder la mémoire de ta personnalité et avec elle le souvenir de ton frère mort pour que vivent la France et la République.

PIERRE-BLOCH

Ancien Ministre.

Original

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