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Mission Clé - Compte-rendu à Emmanuel d’Astier de la Vigerie

Correspond à la page : 250

Note de l'auteur

Compte-rendu détaillé de la mission effectuée à Paris.

Retranscription

Compte-rendu de mission (Clé) de LR à Emmanuel d’Astier de la Vigerie.

Londres, 16 juin 1944

Mon cher Ministre,

Je pensais vous trouver en arrivant à Londres et non seulement j’ai été désolé d’apprendre que vous n’y étiez pas, mais que votre arrivée était singulièrement retardée.

Fort heureusement j’ai pu voir le Général de Gaulle le lendemain même de son arrivée et lui ai fait un rapport sur la mission dont j’étais chargé.

Les communications étant enfin rétablies, je m’empresse vous donner ci-dessous les grandes lignes sur ce que j’ai fait en France.

Je suis arrivé à paris le 16 avril et j’ai, par le meilleur des hasards, pu rencontrer tout d’abord Oronte et ensuite Arnolphe.

En effet, le télégramme qui devait prévoir un rendez-vous entre eux et moi, n’est jamais parvenu à la délégation et j’aurais pu sécher longtemps en France sans prendre contact avec personne si le Dieu des Missionnaires n’avait mis sur mon chemin les personnes que je devais rencontrer.

Ma première conversation avec Oronte m’a permis de me rendre compte que la situation n’était pas celle que je pensais trouver en arrivant. Toutefois j’ai préféré étendre le champ de mes consultations avant de prendre une décision concernant la mise en place définitive de la Délégation.

J’ai donc vu successivement – aidé en cela admirablement par Arnolphe dont je vous parlerai tout à l’heure – Quartus, Salar, Bip, Cléante, Madelin, Danvers, Villiers, Fayet, Fouché, Jacquier, Chaband. J’avais en plus quotidiennement, des conversations avec Algèbre qui était mon co-équipier militaire et Quartus, pour mettre au point définitivement les questions que j’étais chargé de régler.

Je me suis vite rendu compte :

  1. qu’il n’était pas possible d’unifier la Délégation à Paris et qu’il fallait laisser subsister les deux zones, pour des raisons impérieuses d’inter-communication et de rapports entre les Délégués, les mouvements de Résistance et les partis.
    D’ailleurs, la fusion entre la zone Nord et la zone Sud n’étant pas un fait accompli, il fallait donc une délégation spéciale pour chacune d’elles.

  2. Les instructions apportées par Sophie d’Alger et qui venaient transformer les termes de ma mission concernant la mise en place de la Délégation, n’étaient pas applicables à la situation de fait que j’ai trouvée

J’ai naturellement mis successivement Quartus, Oronte et Cléante au courant de la mission dont j’étais chargé : a) suivant la première formule ;
b) suivant la deuxième formule.
(Instructions verbales apportées par Sophie).
La microphoto que j’ai apportée heureusement avec moi, me donnait toute autorité pour régler toutes les questions que contenait ma mission, mais elle était faite pour la première formule et ne pouvait s’appliquer à la seconde.

En arrivant en France, je pensais, comme me l’avait demandé le Général et vous-même, d’une part d’avoir à insister auprès de Quartus pour qu’il accepte le poste de Délégué général (nous pensions qu’il hésitait et qu’il refusait d’en prendre la responsabilité), et suivant le télégramme qui avait été envoyé à Quartus pendant que j’étais encore à Londres, d’avoir à lui demander de prendre ses dispositions pour rejoindre Londres et Alger. Les raisons alléguées étaient les suivantes : le Délégué général ne peut avoir d’autorité que s’il a pris contact avec le président du CFLN ainsi qu’avec ses membres. En attendant, la Délégation serait composée de : Sophie, Cléante, Guizot, Mirabeau, Oronte.

L’ordre de priorité accordé aux délégués pendant l’absence de Quartus serait établi d’après l’ancienneté de leur présence en France. Cléante devait également rentrer ainsi que Guizot. Ne devaient donc rester en France que Sophie, Mirabeau et Oronte.

Cette solution ne convenait à personne, et particulièrement pas à Quartus pour toutes sortes de raisons.

  1. Quartus questionné par Oronte sur son refus de prendre la charge de Délégué Général lui apprenait qu’il n’avait jamais été averti de cette désignation. Après enquête, Quartus apprenait qu’on lui avait caché le télégramme le désignant, pendant près de trois mois.

  2. Ayant commencé d’exercer ses fonctions, Quartus ne comprenait pas qu’il devait quitter la France au moment où il commençait à être au courant du fonctionnement de la Délégation, alors que les événements allaient se précipiter et qu’il lui serait sans doute impossible de revenir de Londres à Paris.

  3. Si Quartus, Guizot et Cléante quittaient la délégation et que Sophie ne puisse venir en France, ce qui semblait devoir se produire au moment de mon propre départ, la Délégation serait restreinte à Oronte et Mirabeau, au moment où elle aurait certainement le plus grand besoin d’être au complet pour assurer son fonctionnement.

Pour arranger le tout, au moment où je discutais encore pour essayer de faire prévaloir les dernières instructions reçues d’Alger, un télégramme nous avertissait que le départ de Sophie était définitivement compromis.

Vous voyez le climat dans lequel je me suis trouvé avec, en plus, un Oronte complètement déchaîné contre Cléante et Sophie et allant jusqu’à dire : « Si Sophie revient en France, je quitte la Délégation ».

Quartus, pour les raisons exposées plus haut (le télégramme qu’on ne lui montra pas pour conserver des prérogatives auxquelles on n’a plus droit) était également très remonté contre Cléante n’ayant plus confiance en lui et contre Sophie qu’il considérait comme co-responsable de ce qu’il considérait comme une véritable escroquerie.

La plupart des gens dont je vous ai donné l’énumération ci-dessus me conseillèrent vivement de régler la question de la Délégation Générale dans les conditions suivantes :

Quartus, Délégué Général, resterait en France pour y exercer sa fonction avec comme suppléants : Fayet (Robert L.) et Tristan. Les deux suppléants seraient appelés à remplacer Quartus en cas de défaillance, dans l’ordre d’inscription. Quartus les emploierait pour contacter les personnalités qu’il avait à voir, afin de diminuer le danger des rendez-vous trop nombreux. Ils seraient ainsi au courant de la marche de la Délégation et seraient à même d’assurer rapidement la succession en cas de disparition du Délégué Général.

Cléante accepta d’être Délégué de la Zone Sud en promettant de rendre compte fidèlement à Quartus de sa Délégation.

Oronte prenant la Délégation en Zone Nord ; Guizot devenant inspecteur général de zones ; Mirabeau ayant pris ses dispositions pour rentrer à Londres et Alger ne redeviendrait Délégué qu’à son retour en France.

Arnolphe, qui m’a paru parfaitement s’acquitter de la mission dont vous l’avez chargé et qui est en excellents termes, non seulement avec tous les partis politiques, mais avec tous les mouvements de Résistance me semble tout-à-fait capable de représenter le Délégué Général auprès des diverses organisations et des partis.

Quartus, d’accord avec moi, l’a donc chargé de cette mission.

J’ai, en présence de Quartus et d’Algèbre, établi un procès-verbal dont les grandes lignes sont les suivantes :

  1. Délégation établie suivant ce qui est indiqué ci-dessus. La répartition des tâches étant au point. Les suppléants s’occupant des grandes commissions et des Secrétaires Généraux provisoires ;
  2. Oronte, en même temps que chargé de la zone nord est particulièrement chargé des transmissions et doit obtenir assez rapidement la mise en place du dispositif des transmissions pour la Délégation Civile.
  3. Mise en place des secrétaires généraux provisoire, Quartus me semblant désigné pour prendre le secrétariat général de l’Intérieur, les autres titulaires des secrétariats généraux vous sont connus maintenant ;
  4. Normalisation des rapports entre l’organisation civile et l’organisation militaire suivant les indications que j’avais. D’accord avec Algèbre, c’est Chaband qui reste le Délégué Militaire National intérimaire aidé par Algèbre. A ce propos je dois vous signaler que Chaband m’a semblé, malgré son jeune âge, un homme tout à fait remarquable.
    A ce sujet, je dois vos indiquer que les rapports entre les militaires et les civils sont excellents et que la prééminence des « civils » n’est discutée par personne.
  5. D’accord avec Algèbre, j’ai donné les instructions concernant l’unification de la résistance à l’échelon régional. Cette unification était déjà très poussée au moment où j’étais en France.
  6. La question de la liaison du Comité Militaire National avec les grands services publics, était réglée afin d’obtenir le concours de ceux-ci sur le plan de l’action immédiate et pour la préparation du jour J.

Pour ne pas alourdir ce rapport et afin de pouvoir le faire partir avec la valise, je ne vous dis qu’un mot de la situation générale qui m’a semblé bonne, tant sur la plan de la préparation du jour J, que sur les possibilités entre les groupes de résistance et le F.N. A ce sujet, j’ai suggéré la nouvelle appellation dont nous avons parlé et celle-ci a été accueillie avec faveur.

J’ai naturellement eu avec Salar de nombreuses conversations, desquelles il ressort que si les organismes de résistance sont très éprouvés, ils n’en restent pas moins vigoureux et prêts à faire tous leur devoir.

J’ai pu constater avec un plaisir que vous imaginez, que vous avez conservé en France une très grande autorité et la sympathie de tous ceux qui vous ont connu.

Enfin, pour terminer, j’ai ajouté dans le procès-verbal dont il est question plus haut, les instructions que le Général de Gaulle m’avaient données concernant l’insurrection et qui consistaient à demander à ce qu’on obéisse aux ordres du Comité d’Action et du Général de Gaulle lui-même.

Pour le reste, vous avez des explications dans ce même courrier, de Salar et de Boris et vous pourrez constater qu’à certains égards la responsabilité de Cléante et de Sophie est singulièrement atténuée dans les reproches qui leur sont faits, à la lumière des textes qui vous sont également envoyés.

J’espère bientôt vous voir à Londres et je vous prie, mon cher Ministre, de croire à mon dévouement affectueux.

Originaux

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