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Lettre de l'Association des administrateurs provisoires de France à Lazare Rachline

Correspond à la page : 326

Note de l'auteur

Rapport établi par ceux qui administraient des biens "aryanisés", à la demande de Lazare Rachline, alors directeur au ministère de l'Intérieur.

Retranscription

ASSOCIATION DES ADMINISTRATEURS PROVISOIRES DE FRANCE (A.D.A.P.)

Le 10 Octobre 1944

Monsieur le Directeur,

Nous avons l’honneur de soumettre à votre haute attention, le rapport que vous nous avez prié de rédiger lors de l’audience que vous nous avez accordée le 6 octobre 1944. Notre exposé concerne :
a) les conditions dans lesquelles les commissaires gérants et les administrateurs provisoires ont été nommés.

b) Leur mission.
c) Leur situation actuelle.
d) L’association des a.p. de France.
e) Ses vœux

1) Conditions dans lesquelles les commissaires gérants et les administrateurs provisoires ont été nommés.

Les autorités allemandes prescrivirent en 1941 de désigner dans un délai anormalement court des commissaires gérants pour toutes les entreprises, biens, valeurs appartenant aux juifs.

Le commissariat général aux questions juives (et la Préfecture de Police pour le département de la Seine) s’adressèrent aux organisations existantes telles que les comités d’organisation, la société des ingénieurs civils, l’association des ingénieurs de l’école centrale, celle des architectes, etc… pour dresser des listes de personnes compétentes et aptes à gérer les biens en cause.

Devant le peu d’empressement mis par leurs membres à répondre, ces groupements firent appel à leur dévouement afin que fussent protégés des biens appartenant à une classe de citoyens opprimés, pour éviter que les Allemands s’approprient leurs biens ou les détruisent.

Les commissaires gérants ainsi désignés ne furent pas ou peu surpris de recevoir des ordres de mission rédigés en Allemand, émanant de l’Hôtel Majestic. Ils en manifestèrent quelque émoi. Ultérieurement, les nominations furent faites par les autorités françaises.

Le 21 mai 1941, il restait encore quelque sept mille entreprises à pourvoir d’administrateurs provisoires dans un délai devant expirer quatre jours plus tard, le 25 mai.

Monsieur RACHET Directeur Ministère de l’Intérieur Place Beauveau PARIS (8ème)


Paris fut alors divisé en soixante-dix secteurs ; chacun d’entre eux fut pourvu d’un administrateur général, chargé, toute affaire cessante, d’apposer les affiches adéquates dans les entreprises visées, qui se trouvèrent, ipso facto, à l’abri de la main-mise allemande. Ces administrateurs généreux ne pouvaient matériellement gérer tous les biens qui leur avaient été confiés (un de nos collègues ne reçut-il pas 311 nominations) et le commissariat général désigné progressivement des administrateurs provisoires aussi longtemps que le besoin s’en fit sentir.

2) Mission des administrateurs provisoires.

La loi du 22 juillet 1941 lui prescrivait de « gérer en bon père de famille » et d’ « aryaniser ».

Il nous appartenait en notre double qualité de mandataire du gouvernement et dépositaire public, de conserver aux biens juifs, toute leur valeur afin dans le cas de liquidation et surtout de vente, d’en transférer la contrepartie à la caisse des dépôts et consignations, à un compte ouvert au nom du légitime propriétaire.

Cette règle ne s’appliquait pas aux ressortissants du grand Reich allemand (Allemands, Polonais, Tchèques, etc…) dont les biens étaient placés sous contrôle allemand, même si antérieurement ils avaient été confiés à un administrateur français.

Les liquidations étaient faites après avis du comité d’organisation compétent, sur ordre de notre administration et avec le concours d’un commissaire-priseur et l’assistance d’un administrateur judiciaire désigné par le Président du Tribunal de Commerce, ce qui offrait le maximum de garantie.

Les ventes eurent lieu comme suit (cf. circ. Du 23.9.44 page 2 paragraphe 3).

  1. de gré à gré. 2.par devant notaire aux enchères publiques.
  2. par soumission sous pli cacheté dans les sections correspondantes du commissariat général.

La gestion de l’administrateur provisoire est soumise à un commissaire aux comptes désigné par le Ministère des Finances.

3) Situation actuelle des Administrateurs provisoires.

Ils sont encore en fonction.

L’ordonnance du 9 août 1944 rétablissant la légalité républicaine n’a pas abrogé la loi du 22 juillet 1941 (J .O.26.8.41) relative aux entreprises, biens et valeurs appartenant aux juifs.

4) L’association des administrateurs provisoires de France.

Sa récente existence (février 1944) résulte de l’attitude des autorités allemandes et du commissariat général, qui, longtemps, s’opposèrent à sa création.

Nos buts clairement définis à l’art. 3 de nos statuts, excluaient toute action politique.

Nous n’avions pas à approuver ou à critiquer une politique imposée. Il s’agissait pour nous uniquement d’administrer des biens, abandonnés parfois, tombés en déshérence pour en éviter la disparition.

Nous n’entendions pas nous occuper des questions raciales ou confessionnelles et nous ne nous sommes pas engagés dans nos statuts à collaborer avec le commissariat général, autrement que sur le plan strictement administratif. Nous sommes intentionnellement restés étrangers à son action politique. Les art. 13 et 14 de nos statuts déterminent les conditions de recrutement des adhérents et démontrent que nous n’entendons grouper que des administrateurs intègres.

Dans notre circulaire du 23 septembre 1944 (page 2 paragraphe 3) nous avons exprimé notre désir de collaborer avec l’administration compétente, en recherchant les éléments nécessaires qui permettront de déceler les manœuvres frauduleuses qui ont pu se produire dans les transactions relatives aux biens juifs de toute nature.

5) Vœux de l’Association.

a) Collaborer avec les pouvoirs publics pour hâter la publication des textes qui doivent permettre de résoudre les problèmes découlant de la loi du 22 juillet 1941.

En effet, l’absence de ces textes est à la source du malaise grandissant constaté chez les propriétaires de biens non mutés, qui ne peuvent entrer en leur possession malgré notre désir de les leur rendre. Quant aux bien mutés, la question dépasse notre compétence.

Nous ne pouvons satisfaire aux désirs légitimes exprimés parfois avec une véhémence excusable par des Français opprimés tout particulièrement, et qui ne sont pas toujours bien informés.

b) Par suite de l’effervescence que nous signalons, chez cette classe de victimes de la guerre, des accusations sont portées contre nous, parfois même, ces accusations ont été transmises à des organisations qui n’ont pas qualité pour les recevoir mais qui n’en ont pas moins procédé à des arrestations illégales.

Il en est résulté, que ces administrateurs victimes de rancoeurs compréhensibles, absents de leur domicile depuis plusieurs semaines ont laissé à l’abandon toutes affaires qu’ils avaient à gérer en qualité d’administrateur provisoire, de telle sorte que certains propriétaires impatients ont repris possession de leurs biens, sans qu’il ait été procédé à un inventaire, à une reddition de comptes, ce qui entraînera des difficultés insurmontables.

Nous demandons en conséquence, aux pouvoirs publics d’attirer l’attention des services compétents sur l’extrême circonspection avec laquelle les accusations portées contre les administrateurs provisoires doivent être examinées.

Nous demandons également qu’il soit fait connaître aux intéressés quelle a été notre action préservatrice.

Nous avons le sentiment, en effet, que le rôle des administrateurs provisoires qui ont rempli leurs fonctions au mieux des intérêts des propriétaires auxquels ils avaient été substitués, est diversement apprécié. Si nous nous étions refusés d’accepter les missions confiées, les propriétaires de biens juifs seraient fondés aujourd’hui de nous reprocher notre manque de solidarité envers eux, et à rendre responsables leurs concitoyens de ne pas les avoir aidés à sauver leur patrimoine.

Or, ces Français retrouvent aujourd’hui, dans la plupart des cas, leurs entreprises en ordre de marche, leurs immeubles parfaitement gérés.

Nous ne saurions mieux terminer ce rapport qu’en vous signalant le cas de l’entreprise de chemiserie SEILLIGMAN, rue du Louvre à PARIS, possédant cinq usines, vingt-sept ateliers et dont le conseil d’administration envisage de confier la direction générale à son ancien administrateur provisoire par reconnaissance.

Veuillez croire, Monsieur le Directeur, à l’assurance de notre considération distinguée.

Un Vice Président. Le Président

Originaux

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