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Lettre de la LICA à Lazare Rachline, contre les spoliateurs

Correspond à la page : 321

Note de l'auteur

Requête adressé à Lazare Rachline, alors directeur au ministère de l'Intérieur.

Retranscription

PARIS, le 14 Octobre 1944

Dès les premières heures de la libération les membres et sympathisants de notre organisation nous ont rendu visite en nombre considérable pour nous exprimer leur espoir de voir la ligue reprendre son action et s’employer entre autres à une tâche urgente de réparation de tous les actes de dépossession dont ils on été l’objet.

La situation des requérants est des plus tragiques et nos premières réunions ont estimé qu’elle était des plus digne d’intérêt. Il a fallu se pencher de toute urgence sur les problèmes dont la solution est indispensable si l’on veut éviter la persistance d’un malaise qui commence à se faire jour et la multiplication d’incidents irritants.

Le nombre de victimes qui réclament que justice rapide soit rendue est de plus en plus important à mesure qu’elles se heurtent chaque jour davantage à la mauvaise foi des acquéreurs ou profiteurs de biens.

En instituant sans perdre une minute le service juridique des litiges, la ligue s’est efforcé de régler à l’amiable certain. Il faut reconnaître hélas que pour être appréciables ses succès ne sont pas satisfaisants. On peut dire que nous nous heurtons à une mauvaise volonté générale de la part d’acquéreurs ou successeurs.

La libération remonte déjà à plusieurs semaines et en l’absence de textes tous les détenteurs de biens qui s’attendaient à des restitutions immédiates reprennent courage, s’organisent pour se défendre et repoussent avec une audace toujours croissante les légitimes réclamations des victimes.

Nous avons entièrement confiance en la volonté de justice du gouvernement et la ligue n’a pas le moindre désir de lui créer des difficultés en encourageant des impatiences de plus en plus vives. Mais il serait dangereux par un silence prolongé de laisser plus longtemps espérer aux bénéficiaires des lois raciales qu’ils conserveront des biens mal acquis et donner l’impression aux dépossédés que leurs droits puissent être contestés.

Nous savons que les textes destinés à annuler les effets des ordonnances allemandes et celles de Vichy sont difficiles à élaborer, et qu’il se pose à cet égard des questions de droit complexes qui demandent réflexion mais il serait vain de cacher une certaine angoisse due à l’absence de toute proclamation de principe.

Il est constant qu’aux premiers jours de la libération tous ceux qui ont profité ou se sont associés aux actes de dépossession que seul l’ennemi a provoqué n’avaient aucun doute quand à leur obligation d’en faire la juste restitution. Une déclaration sans équivoque du gouvernement à ce sujet aurait facilité dans une mesure considérable le règlement de litiges de cet ordre. Combiens qui étaient disposés à réinstaller l’Israelite ont fait depuis volte face. Il aurait suffi de déclarer par un communiqué à la presse que les dépossédés allaient rentrer dans leurs biens.

On nous objectera sans doute que l’ordonnance du 9 Août 1944 de restauration de la légalité républicaine rend exécutoire en territoire libéré l’accord intervenu en Janvier 1943 entre le gouvernement français et les alliés en vue de l’annulation éventuelle des actes de spoliation. Il y a lieu de remarquer que ce texte a une portée générale et manque de précision. Les versions les plus contradictoires sont colportées relativement à son interprétation. Chaque jour qui passe dans l’imprécision augmente la morgue des dépossesseurs et des commissaires gérants. Des campagnes s’organisent avec recours aux arguments indignes d’ l’honnêteté française. On place les discussions sur le terrain de la xénophobie, on argue des mérites militaires des acquéreurs. Nous ne pensons pas qu’il suffit de s’être distingué aux cours des deux guerres pour rendre définitives des aliénations intervenues contre le gré des légitimes propriétaires. Il est loisible d’autre part au gouvernement de prendre dans un autre ordre d’idées toutes les mesures qu’il jugera nécessaires pour réglementer le séjour des étrangers mais ce serait lui faire injure que de lui attribuer le dessein d’y pourvoir sous forme de validation d’expropriations honteuses. Au surplus on peut souligner qu’un nombre considérable d’étrangers spoliés sont dignes d’intérêt et ont sans doute davantage rendu de service à la cause de la libération que les collaborateurs qui se sont installés à leur place.

Certains détenteurs de biens israélites mettent à profit l’intervalle qui les sépare de la promulgation de textes pour disperser ou détourner le bien de manière à créer au préjudice des légitimes propriétaires un fait accompli de ruine définitive.

Nous proposons que des mesures conservatoires soient prises d’urgence. Elles pourraient se résumer dans un des projets que nous joignons à ce rapport.

Nous croyons en outre qu’il est indispensable de demander aux organismes compétents la publication sans délai d’un arrêté identique à celui qui a été pris par le commissaire régional de la République à Lyon dont nous joignons aussi la copie. Si extraordinaire que cela puisse vous paraître en effet aucun texte n’oblige encore des commissaires gérants et les administrateurs provisoires à Paris à restituer aux victimes des lois raciales les biens même non aliénés.

Nous avons enfin adopté un projet complet édictant la restitution des biens quels qu’ils soient aliénés ou non, des indemnités pour ceux qui ne les retrouveraient pas et des peines sévères contre les commissaires gérants coupables de malversations quelconques.

Ce projet en question n’est sans doute pas à l’abri de la critique mais il a déjà un mérite c’est celui d’exister. La matière est complexe nous ne sommes pas de juristes éminents et nous sommes persuadés qu’on y trouvera certaines lacunes. Nous pensons cependant qu’il contient des principes qui devront être sauvegardés si l’on veut s’attacher efficacement à la restauration de la plus élémentaire des justices.

Le projet organise en outre une procédure rapide en cas de contestation la décision du tribunal devant intervenir dans le mois de l’exploit introductif d’instance. Il prévoit une diminution de loyers pouvant aller jusqu’à l’exonération totale au profit de ceux qui ont vécu dans la clandestinité et applicable à la période de leur absence.

Nous n’avons pas oublié la situation d’impécuniosité dans laquelle se trouvent les dépossédés pour lesquels nous réclamons l’assistance judiciaire sans formalités.

Il était nécessaire en outre qu’une mention spéciale fut réservée aux questions de timbre et d’enregistrement ruineuses pour les plaideurs.

Originaux

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