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Pièce de théâtre de Lazare Rachline - "Mon fils avait raison"

Correspond aux pages : 36, 377, 378, 379, 380

Note de l'auteur

Pièce jouée au Stalag IV B pendant la captivité de Lazare Rachline. Le titre et le style parodient la pièce de Sacha Guitry, "Mon père avait raison".

Retranscription

MON FILS AVAIT RAISON

Personnages :

  • BEAUFILS André : QUERTANT
  • BEAUFILS Albert : DEMAIN
  • FRANCK : FRANCK
  • BAPTISTE : GROSSIER
  • LEROY : LAZARE

1er TABLEAU - SCENE I

La scène représente un cabinet de travail, à la table est assis l’avocat Leroy, plongé dans un dossier, il sonne et s’impatiente.

LEROY - Ce nouveau valet est impossible, et il n’est à mon service que depuis deux jours. Je sens bien qu’il ne fera pas long feu chez moi.

SCENE II - LEROY, BAPTISTE (Un peu gris)

BAPTISTE - Monsieur a sonné ?

LEROY - Je vous crois, il y a cinq minutes que je vous appelle.

BAPTISTE - Que Monsieur m’excuse, je n’ai pas entendu, autrement, Monsieur sait bien que...

LEROY - Oui, oui, je sais bien que cela ne va pas, il faudra faire attention, Firmin, sinon...

BAPTISTE - Non, Monsieur...

LEROY - Comment non Monsieur ? Vous vous permettez de me couper la parole, de me contredire a présent ?

BAPTISTE - Que Monsieur me pardonne, mais je ne contredis pas Monsieur, je veux simplement dire à Monsieur, que je ne m’appelle pas Firmin, mais Baptiste, Firmin, c’est l’ancien valet de Monsieur, celui que j’ai remplacé.

LEROY - Ah Oui, c’est vrai. Eh bien Baptiste, puisque c’est votre nom, je n’y suis pour personne ce matin. Vous avez compris ?

BAPTISTE - Oui, Monsieur.

LEROY - Voilà

BAPTISTE - Voilà.

LEROY - Dites donc mon garçon, vous fichez vous de moi ?

BAPTISTE - Oh non Monsieur. Je veux simplement et respectueusement dire à Monsieur, que je ne me nomme pas Baptiste mais Jules.

LEROY - Qu’est ce que vous voulez que ça me fasse, Hein ! et pourquoi, si vous vous nommez Jules vous faites-vous appeler Baptiste ?

BASPTISTE - Mais, Monsieur, parce que Baptiste ça fait grande maison.

LEROY - Eh bien, va pour Baptiste et n’en parlons plus.

BAPTISTE - Est-ce que Monsieur permet que je demande quelque chose à Monsieur ?

LEROY (énervé) - Quoi encore ?

BAPTISTE - Je voudrais dire à Monsieur, mais c’est difficile à dire.

LEROY (résigné) - Dites toujours.

BAPTISTE - Voilà, je veux dire à Monsieur que je suis content de Monsieur.

LEROY - Dites donc, dites donc, vous ne manquez pas de culot. Vous renversez les rôles, c’est à moi, et à moi seul de juger si je suis content de vous ou non. Eh bien par exemple...

BAPTISTE - Je sais bien Monsieur. Mais on dit toujours aux domestiques qu’on est ou qu’on n’est pas content d’eux, mais on ne leur demande jamais, s’ils sont contents de leurs maîtres. C’est injuste. Je vous assure Monsieur, que très souvent, si on demandait leurs avis aux domestiques...

LEROY - Eh bien, je ne demande par le votre.

BAPTISTE - C’est que je tiens à dire à Monsieur, que je suis très content d’être au service de Monsieur et que je ne quitterai jamais Monsieur.

LEROY - Ah ça par exemple, nous en reparlerons (une sonnerie se fait entendre). Bon, on sonne, allez voir ce que c’est et surtout je n’y suis pour personne n’est ce pas ?

BAPTISTE - Oui Monsieur.

(On entend des bruits en coulisse, et on voit entrer BEAUFILS Père, Baptiste a l’air très contrarié et fait des gestes comme pour dire qu’il a fait ce qu’il a pu).

LEROY (se lève et va la main tendue vers Beaufils) - Tiens, bonjour mon cher André, quel bon vent ?

ANDRÉ - Bonjour mon cher Maître, mais ma parole, pour parvenir jusqu’à toi c’est toute une aventure.

BAPTISTE - J’ai bien dit à Monsieur, que Monsieur m’avait dit qu’il n’était là pour personne, mais il n’a rien voulu savoir et ...

LEROY - C’est bien Baptiste, vous pouvez disposer. Tu m’excuses André, (ils rient tous les deux, Baptiste part en disant à mi-voix : Il ne sait pas ce qu’il veut).

ANDRE - Mais pourquoi diable ton Baptiste voulait-il absolument m’empêcher de rentrer en me disant que tu lui avais bien recommandé de ne laisser entrer personne et que tu n’y étais pour personne, entre nous, il n’est pas très fort ton valet de chambre.

LEROY - A qui le dis tu ? Mon vieux, voilà j’ai un travail fou et depuis ce matin je n’ai encore rien fait. Ce Baptiste est un abruti qui n’est ici que depuis peu mais je te garantis qu’il ne s’éternisera pas. D’ailleurs pour toi, il n’y a pas de consigne, dis-moi ce qui t’amène ?

ANDRE - C’est une chose très importante et ce n’est pas l’ami que je suis venu consulter mais l’avocat et l’ami.

LEROY - Je t’écoute.

ANDRE - Tu me connais depuis l’enfance, tu sais que j’ai toujours été un homme sérieux et depuis que ma pauvre femme est morte, je me suis consacré uniquement à mon travail et à l’éducation de mon fils. Si j’ai réussi dans la conduite de mes affaires, si je suis devenu l’industriel connu par tout le monde, je n’ai malheureusement pas obtenu un résultat aussi satisfaisant avec Albert.

LEROY - N’exagérons rien, qu’est ce que tu lui reproches à ton garçon ?

ANDRE - Nous y viendrons. Je te l’ai dit en commençant c’est aussi l’homme de loi que je suis venu voir. Je voudrais savoir ce qui arriverait à mon fils, si je me mariais ?

LEROY - Mais rien mon vieux, à moins que...

ANDRE - A moins que ... ?

LEROY - A moins que tu lui adjoignes des frères ou des sœurs.

ANDRE - Dis-donc, c’est une chose possible.

LEROY - Je ne dis pas non. Mais où veux-tu en venir ? Si tu te marie, tout dépendra du contrat de mariage.

ANDRE - Je voudrais, vois-tu, assurer Albert à un avenir tranquille.

LEROY - C’est très difficile et ce sera ton notaire qui réglera cette question. Mais dis-donc, qu’est ce qui te prend de vouloir te marier, comme cela, d’un seul coup.

ANDRE - Cela ne m’est pas venu d’un seul coup. Il y a des années, exactement trois ans que j’aime une femme charmante, délicieuse, Solange Donizeau.

LEROY - Je n’aurais jamais cru que tu sois si discret. Je me demandais parfois même si tu n’étais pas devenu un véritable moine, depuis la mort de ta femme. Mais de là a épouser Solange la vedette des Folies...

ANDRE - Mon cher, j’ai à peine cinquante ans et je me sens plus jeune que bien des jeunes gens.

LEROY - Je n’en doute pas, mais pourquoi te marier ? Moi qui ais ton âge je ne me prive de rien et je n’éprouve pas comme cela le besoin de me lier.

ANDRE - C’est que tu n’as pas rencontré l’être exquis, sans lequel la vie devient vide. Depuis que je l’aime, c’est à dire depuis que je la connais, les seuls moments qui comptent sont ceux que je passe avec elle. S’il m’arrivait de la perdre, l’existence ne mériterait plus pour moi d’être vécue. C’est pourquoi je suis venu te voir. Je veux régler définitivement une situation qui ne peut plus durer. Je désire te charger de parler à Albert, de le préparer à ce mariage, de lui faire comprendre qu’il doit admettre que ma vie a été brisée, perdue et que je dois vivre, que je peux vivre, que j’ai le droit de vivre.

LEROY - Et pourquoi ne lui dis-tu pas toi-même ?

ANDRE - Je me sens faible devant lui et pourtant ce n’est qu’un gamin. Il vient d’avoir vingt ans mais c’est un homme déjà par la volonté. J’aurais voulu le voir avec moi, à la tête de mes affaires mais il a décidé de faire sa vie tout seul et je sens bien depuis quelque temps que nous ne sommes plus d’accord sur rien. Rends-moi ce service, préviens Albert et dis-lui que je suis peiné, très peiné de l’attitude qu’il a à mon égard depuis quelque temps. Vois-tu, c’est mon fils, je ne voudrais pour rien au monde perdre son estime et désire tant conserver ou retrouver son affection. Puis-je compter sur toi ?

LEROY - Oui mon ami, je vais lui demander de venir me voir et je te promets de m’acquitter du mieux que je pourrai de la tâche que tu me confie.

ANDRE - Merci. Je n’attendais pas moins de notre vieille amitié.

SCENE III - LEROY, BAPTISTE

BAPTISTE - Monsieur a sonné ?

LEROY - Non. Qu’est ce que vous voulez ?

BAPTISTE - Moi, rien Monsieur.

LEROY - Bien alors laissez-moi.

BAPTISTE - Monsieur n’a rien à me dire ? Je pensais que Monsieur voulait me parler.

LEROY - Non, non, je n’ai rien à vous dire, fichez moi la paix. (Baptiste fait mine de s’en aller) Attendez, je tiens à vous avertir que si vous continuez à me déranger continuellement, si vous faites votre service avec fantaisie, enfin si vous m’adressez la parole sans raison, vous ne resterez pas un jour de plus dans ma maison.

BAPTISTE - Ah ! ça Monsieur, Monsieur peut être tranquille, je ne quitterai jamais Monsieur, Monsieur me plaît et ...

LEROY - Ca suffit (un temps) ! Dites moi Baptiste, vous me semblez drôle, est-ce que vous n’auriez pas bu par hasard ?

BAPTISTE - Oh ! Oh ! Monsieur !

LEROY - Ah ! on sonne, allez voir, faites attendre et venez me dire qui vient. (Pendant que Baptiste sort) Je ne travaillerai décidemment pas ce matin. Enfin (Baptiste revient).

BAPTISTE - C’est Monsieur Beaufils fils qui désire parler à Monsieur.

LEROY - Pourquoi répétez-vous fils deux fois, vous êtes ivre. Voyons c’est le Monsieur qui vient de sortir.

BAPTISTE - Non Monsieur, c’est un Monsieur qui dit s’appeler Beaufils fils. Mais je vous assure Monsieur que je ne suis pas ivre, je ne bois rien, presque rien, un tout petit peu...

LEROY - Ca suffit. C’est le fils Beaufils, tant mieux faites entrer.

BAPTISTE - Mais non Monsieur, c’est Beaufils fils.

LEROY (en colère) - Faites entrer vous dis-je.

SCENE IV - LEROY, BEAUFILS ALBERT

LEROY - Bonjour, mon petit, comment vas-tu ?

ALBERT - Très bien mon cher Maître.

LEROY - Tu tombes à pic toi, j’ai à te parler.

ALBERT - Mois aussi.

LEROY - Parfait je t’écoute.

ALBERT - Il y a plusieurs jours que j’hésite à venir vous voir. Et puis je me suis décidé aujourd’hui. Je n’en puis plus, j’ai besoin de vos conseils.

LEROY - Toi aussi ?

ALBERT - Pourquoi, moi aussi.

LEROY - Euh ! Pour rien, continue.

ALBERT - Vous êtes l’ami de mon père et vous êtes également le mien. Quoique vous soyez plutôt de la génération de mon père que de la mienne, vous m’avez toujours montré plus que de la compréhension, j’oserai presque dire que vous approuvez ma façon de voir la vie.

LEROY - Hum ! Toi, il y a quelque chose qui ne colle pas hein ! Tu n’as pas fais de bêtises au moins ?

ALBERT - Non, pas encore, mais je sens que je suis à un carrefour et je suis venu uniquement vous exposer mon état d’âme. Vous savez que mon père voulait faire de moi un ingénieur, un homme capable de prendre avec lui la direction de l’usine, de sui succéder enfin. Vous savez aussi que j’ai refusé.

LEROY - Tu n’as peut-être pas raison.

ALBERT - C’est possible. Mais tout mon être se révolte à la pensée d’occuper tout mon temps, toute ma vie à faire de l’argent avec des machines, avec des hommes. Vivre du matin au soir dans un bureau, diriger du personnel, consulter des statistiques, préparer des publicités, vivre dans l’atmosphère des chiffres, des échéances, des dividendes, des ouvriers, des actionnaires, non, non, je n’appelle pas cela vivre.

LEROY - C’est ce qu’on appelle travailler.

ALBERT - Il y a travail et travail.

LEROY - Oui, mais alors que veux-tu faire ?

ALBERT - Ah ! Je sens en moi quelque chose de plus beau, de plus grand. Vous- même, ne m’avez-vous pas parlé avec passion du théâtre, des écrivains, de l’Art enfin, l’Art avec un grand A.

LEROY - Oui, sans doute, mais il faut vivre, et pour être artiste il faut savoir souffrir. Or, tu as été élevé comme un bourgeois, et jamais ton père ne consentira...

ALBERT - Qu’importe ! Je saurai souffrir. La vie qui s’ouvre devant moi est si belle, et je veux réussir. Faire du théâtre, interpréter les auteurs que j’aime, que Emouvoir tout une salle, la sentir vibrer, se donner tout entier au public et sentir qu’on est compris, sentir, ah ! Sentir qu’on communie avec des hommes et des femmes qu’on ne connaît pas, mais qui vous comprennent. Voilà le destin que je désire, la voie que je veux suivre.

LEROY - Tu sembles transporté. C’est bien, mais alors, puisque tu sais ce que tu veux, quels conseils attends-tu de moi ?

ALBERT - Je voudrais, mon cher maître, que vous disiez à mon père, qu’il me comprenne, qu’il change à mon égard. J’ai pour lui une affection très profonde et depuis quelque temps, il me semble qu’il me bat froid, qu’il me boude enfin.

LEROY - Comment, toi aussi ?

ALBERT - C’est la deuxième fois que vous me dîtes cela.

LEROY - Oui, parce que ton père est venu me voir ce matin et qu’il souffre parce qu’il te croit distant avec lui. Il a besoin que tu sois plus affectueux. Tu es son seul enfant et depuis dix ans, il ne vit que pour toi.

ALBERT - Vous avez raison, mais lui-même est si préoccupé...

LEROY - Il l’est, car il vient de prendre une décision importante, il a l’intention de se remarier et il craint que cela n’aggrave vos dissensions.

ALBERT - Pauvre père ! C’est donc cela ! Mais pourquoi craint-il de m’en parler ?

LEROY - Mon cher Albert, c’est par une sorte de pudeur qui est très respectable.

ALBERT - Et, vous a-t-il dit avec qui ?

LEROY - Oui, avec Solange Douizeau.

ALBERT - Mais c’est impossible.

LEROY - Et pourquoi ?

ALBERT - Mais parce qu’elle est la maîtresse de mon ami Franck.

LEROY - Qu’est-ce que du dis ?

ALBERT - La vérité. Oh ! C’est horrible, il faut empêcher cela.

LEROY - Que vas-tu faire ?

ALBERT - Je veux parler à mon père.


2° TABLEAU : SCENE I - La scène représente un salon. - FRANCK – ALBERT

FRANCK - Mon vieux Albert, tu arrives bien, j’allais partir.

ALBERT (Il lui serre la main) – Reste, j’ai à te parler, très sérieusement.

FRANCK - Je ne suis pas d’humeur à être sérieux.

ALBERT - Il le faut pourtant, car il s’agit d’une chose très importante. Mon père se marie.

FRANCK - Très bien, je le complimenterai, mais avoue qu’il n’y a pas là de quoi faire de la neurasthénie.

ALBERT - La chose est très sérieuse et quand tu sauras qui il compte épouser !

FRANCK - Qu’est-ce que tu veux que cela me fasse. Excuse moi, mon vieux, puisque tu tiens absolument à me prévenir, je t’écoute patiemment et je ne t’interromps plus.

ALBERT - Mon père veut épouser Solange Douizeau.

FRANCK - Solange, tu n’es pas fou ?

ALBERT - Oui, Solange.

FRANCK - Après tout, pourquoi pas ? Lui ou un autre.

ALBERT - Comment, c’est tout ce que tu en dis ?

FRANCK - Mon vieux, il faut savoir vivre avec son temps. Si Solange se marie avec ton père, elle fait une bonne affaire et (silence) lui aussi.

ALBERT - Ce n’est pas possible, Franck, je te savais cynique, mais pas à ce point là. Comment ! Tu apprends que le père de ton ami se marie avec ta maîtresse et tu trouves cela naturel ?

FRANCK - Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? Tu savais pourtant bien que Solange était entretenue et même richement entretenue, seulement, tu ne savais pas qu’elle l’était par ton père. Voilà tout le drame. On dirait à t’entendre que ces choses là n’arrivent jamais. Mais mon pauvre vieux, c’est courant.

ALBERT - Non, ce n’est pas courant. Et d’abord je ne savais pas que Solange était entretenue, comme tu dis. Et toi tu le savais et cela ne t’empêchait pas...

FRANCK - Tu retardes, mon petit Albert, ou plutôt tu es jeune, tu croix donc que j’aurais pu subvenir aux besoins de Solange ? Tu croix qu’avec ce que je gagne...

ALBERT - Ah ! Tais-toi. Tu me fais très mal, jamais je n’aurais cru qu’on puisse vivre comme tu l’as fait.

FRANCK - Ecoute-moi Albert, je suis ton ami et cela me peine de te faire souffrir. Mais que puis-je faire pour toi ?

ALBERT - Dire la vérité à mon père.

FRANCK - Ah non, pas ça ! Et puis, pourquoi ne pas laisser les choses se faire, je disparais et personne ne saura jamais...

ALBERT - Franck ! Réfléchis-tu à ce que tu dis ? Est-ce que tu crois que je peux laisser faire cette folie à mon père, est-ce que tu crois que la vie commune peut être désormais possible entre mon père, Solange et moi ? Voyons, tu sais bien que c’est impossible. Ah ! rien que l’idée que ta maîtresse peut devenir ma seconde mère, qu’elle peut remplacer...

FRANCK - Calme-toi, mon vieux, calme-toi. Voyons peut-être est-il possible d’arranger les choses. Je vais...

SCENE II - ALBERT – FRANCK et André BEAUFILS

ANDRE (entrant) – Bonjour mes enfants. Qu’est-ce qu’on complote ici ? (Ceci doit être dit gaiement)

FRANCK - Bonjour, cher monsieur, bonjour et au revoir.

ALBERT - Non, reste là (rudement).

ANDRE - Ce n’est pas moi qui vous chasse ?

FRANCK - Non... Non, pas du tout, mais j’ai affaire et ...

ALBERT - Franck, je te demande de rester, j’ai besoin que tu restes.

ANDRE - Mais qu’est-ce que tu as Albert, tu as l’air très agité.

ALBERT - Je désire te parler papa, et si je demande à Franck de rester, c’est qu’il est au courant de ce que j’ai à te dire. De plus, il est mêlé, intimement mêlé au sujet de cette conversation.

FRANCK - Soit, je reste.

ALBERT - Mon père, j’ai vu Maître LEROY aujourd’hui.

ANDRE - Et il t’a dit que j’allais...

ALBERT - Oui, que tu voulais épouser Solange DOUIZEAU.

ANDRE - Tu me parles en véritable accusateur.

ALBERT - Excuse-moi, père, mais ce mariage ne peut se faire, ce mariage ne doit pas se faire.

ANDRE - Ah ! ça par exemple, veux-tu me dire ?

ALBERT - Entre cette femme et toi, il y a une telle disproportion d’âge, et puis, papa, depuis toujours tu es pour moi l’image même de l’honnête homme, de celui qui accomplit régulièrement son devoir, sans y penser, comme une chose toute naturelle, alors, penser que tu vas épouser cette actrice, qui te bafouera peut-être...

ANDRE - Albert, je ne te permets pas de me parler sur ce ton !

ALBERT - Il le faut pourtant. Pense à maman et aussi à moi. (Il se couvre la figure, comme pour sangloter, et va s’asseoir complètement accablé)

FRANCK - Je suis navré monsieur, permettez-moi de me retirer.

ANDRE - Non, tu peux rester et puisque nous avons commencé, il faut en finir. Ainsi, mon fils, tu me parles comme si j’allais faire une mauvaise action, comme si j’allais déshonorer notre nom, le mien. Tu me connais peu, mon enfant, et j’ai

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SCENE III - ANDRE – LEROY

(Leroy entre et pose la main sur l’épaule de Beaufils qui tressaille.)

LEROY - Mon pauvre vieux.

ANDRE - Ah ! C’est toi, Leroy.

LEROY - Je viens de voir Albert, il m’a dit.

ANDRE - Je suis très malheureux, tout s’écroule devant moi. Je perds tant de choses, tant d’illusions... Ah ! Je suis las de tout. J’ai assez vécu.

LEROY - André ! Regardes-moi. Je ne te reconnais plus. Est-ce là l’homme d’action que je n’ai jamais vu se décourager devant aucune difficulté. Comment toi, André Beaufils, le chef d’industrie, peut-tu te laisser abattre par une histoire d’amour qui finit mal. Crois-moi, mon vieux, il y a mieux à faire que de pleurer ou de se plaindre. Tu dois donner l’exemple, il faut mériter le rang qu’on occupe sur l’échelle sociale. Il y a d’autres tâches pour un homme comme toi que celle de s’attarder sur des déceptions ou des illusions perdues. Pense à ceux qui sont autour de toi, à ceux qui vivent de ton énergie et de tes initiatives. C’est dans la souffrance qu’on trempe des vrais tempéraments. Et crois-moi, il y a dans le monde des douleurs plus grandes que la tienne.

ANDRE - Sans doute, mais je sens mieux la mienne et comment envisager ma vie désormais ? Je vais rester seul comme un vieux sanglier solitaire.

LEROY - Et ton fils ?

ANDRE - Après ce qui vient de se passer, pourrons-nous seulement nous regarder en face ? Et puis, il est si différent de moi, je ne suis qu’un industriel, un ingénieur, il est un artiste.

LEROY - Mais mon ami, nous sommes tous des artistes. Nous croyons vivre et nous ne faisons que jouer. Le tout est de bien finir la pièce. Tu crois qu’Albert est différent de toi parce qu’il a une vocation pour le théâtre, mais crois-moi, tu joues ton rôle d’homme malheureux mieux qu’il ne jouera jamais sur les planches. Le rôle de chacun de nous est écrit par l’auteur.

Originaux

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