Presse - Entretien De Gaulle-Begin - Journal Israélien Haaretz
Correspond aux pages : 364, 365Note de l'auteur
Compte-rendu général de la rencontre entre Charles de Gaulle et Menahem Begin à Paris, organisée par Lazare Rachline en juin 1952.Retranscription
HAARETZ, Quotidien Hébreu, TEL-AVIV 13 JUIN 1952
MENAHEM BEGIN chez CHARLES DE GAULLE.
(de Oury KESSARY, envoyé spécial du HAARETZ à PARIS.)
Quand il a été question de publier un communiqué au sujet de la rencontre qui a eu lieu entre de Général De GAULLE et le Chef du Mouvement « HEIROUTH » -ou comme on aime l’appeler : « Le Commandant de l’IRGOUN TSVAI LEOUMI »- Charles de GAULLE hésita et dit : «Pourquoi ne ferait-on pas comme on a l’habitude de faire dans certains cas ? Hier, par exemple, j’ai déjeuné avec EISENHOWER, et les journaux ont dit simplement : « Nous apprenons que le Général De GAULLE a eu une rencontre cordiale avec le Général EISENHOWER lors d’un déjeuner. » »
J’avoue, que de PARIS, où je me trouve, il n’est pas facile de savoir si un communiqué quelconque a été publié en ISRAEL au sujet de cette rencontre. En tous cas, à PARIS, elle a eu une bonne presse et aucun doute qu’elle faisait suite au meeting qui a eu lieu Dalle WAGRAM au cours duquel BEGIN lut un discours en français, lecture précédée de paroles chaleureuses prononcées par le député HEUILLARD (radical-socialiste) où il rappelait que lui non plus, n’oubliait pas ce que l’ALLEMAGNE avait fait.
La rencontre était organisée par M. Lazare RACHLINE, industriel français fortuné bien connu, un bon juif et un assez bon sioniste, membre du R.P.F. et commandant pendant la guerre dans l’armée de DE GAULLE avec lequel il se trouvait en exil à LONDRES et qui continue à entretenir avec le Général, des relations amicales.
Ce RACHLINE, pendant l’occupation, se trouvait en contact avec le Colonel JACKSON de la résistance, dont l’identité réelle nous conduit jusqu’à la vieille ville de JAFFA, nous venons de nommer : Ben Zion Samuel HOMESKY, né à NEVEH-ZEDEK, engagé volontaire canadien à la première guerre mondiale, ayant servi en PALESTINE ensuite membre de la « HAGANNAH » et qui, en cette qualité, fut fait prisonnier en 1920 et partagea la prison avec JABOTINSKY dans la forteresse de ST. JEAN d’ACRE. Membre du Mouvement Commandement de l’IRGOUN en EUROPE jusqu’à la création de l’Etat, le 14 Mai 1948, il rendit son passeport britannique au Consulat de Grande-Bretagne à PARIS, et devint, de ce jour, citoyen israélien tout court.
RACHLINE a mené les deux hommes – BEGIN et HOMESKY – au N° 5 de la rue de SOLFERINO, siège du R.P.F. BEGIN et HOMESKY entrèrent tout seuls dans le bureau de De GAULLE. Le Général s’y trouvait seul ; sans son aide de camp et sans interprète. RACHLINE resta dans la salle d’attente ; la rencontre était fixée pour dix-sept heures ; le Français aussi bien que les Juifs, était exact. De GAULLE avait accordé quinze minutes, mais à dix-huit heures, les deux hommes se trouvaient encore chez le « grand Charles ». La pendule marquait dix-huit heures dix, quand ils quittèrent la pièce. L’entrevue dura donc soixante-dix minutes.
A dix-sept heures quinze, De GAULLE avait un rendez-vous avec le célèbre écrivain –anciennement communiste et aujourd’hui gaulliste André MALRAUX. Quand celui-ci arriva, il trouva son ami RACHLINE dans la salle d’attente et s’avisa que le temps passait et aussi que le général ne se libérait pas, il commença à perdre patience. RACHLINE, cherchant à le calmer, lui dit que De GAULLE avait affaire à des Juifs... sur quoi, MALRAUX, bien que nerveux, lui répondit en souriant : « Et puis, après ? ... même, s’ils cherchent à le convertir ils devraient avoir terminé depuis longtemps... » A quoi RACHLINE répliqua en plaisantant : « Vous oubliez la petite opération ! ... »
Le fait que chacun des deux hommes fut dans le passé à la tête d’un résistance et est aujourd’hui chef d’une opposition, a facilité leur compréhension réciproque.
De GAULLE insista au début de l’entrevue, pour que BEGIN se serve de sa propre langue, l’hébreu : HOMESKY faisait donc l’interprète. Le Chef du « HEIROUTH » débuta en remettant le salut et la bénédiction de l’ancienne résistance d’ISRAEL à la résistance française et à son chef. Quand ils durent se quitter, les dernières paroles de De GAULLE, furent : « Remettez le salut et la bénédiction de ma part au jeune état et aux braves hommes de la résistance ».
Quand De GAULLE demanda à BEGIN si les ISRAELIENS considèrent JERUSALEM comme leur capitale, BEGIN répondit par une autre question : Est-ce que les FRANÇAIS accepteraient que PARIS ne soit pas leur capitale ? Et De GAULLE hocha la tête et ne dit rien, mais une légère tension se fit sentir. Le Général De GAULLE posa la question suivante
- Est-ce que vous avez des prétentions sur la SYRIE ?
-
Ni sur la SYRIE ni sur le LIBAN, répliqua BEGIN. Et il ajouta : « Sauf sur quelques points litigieux dont la commission d’armistice mixte palestinienne s’occupe, sans toutefois y trouver une solution » Passant dans le domaine psychologique De GAULLE demanda : « Faîtes-vous une distinction entre les Allemands et les nazis ?
- Non, dit BEGIN.
- Pourquoi ?
Et c’est alors que BEGIN donna au Chef de Gaullistes une statistique des partis et des différents clans allemands sous le régime hitlérien, et d’où il ressort, d’après le pourcentage, que toute la nation allemande est responsable du plus horrible crime de l’Histoire.
M. BEGIN séjourna à PARIS dix jours. Une voiture, un chauffeur et un garde du corps, furent mis à sa disposition pendant ce temps. Il est permis de supposer que le Gouvernement Français a inscrit ces dépenses au compte des « relations internationales » ce qui, très souvent, veut dire : « Un regard vers l’Avenir... ».