Intervention de Lazare Rachline sur l’historicité de Jésus dans Controverse
Correspond aux pages : 145, 375, 376Note de l'auteur
Contribution de Lazare Rachline à un débat sur l'historicité ou non de Jésus-Christ.Retranscription
Lazare Rachline
Je voudrais apporter quelques précisions concernant le rôle des Juifs. L’abbé Candillon nous a dit tout à l’heure : « Jésus a été crucifié par les Juifs et les chrétiens des premiers siècles ont été persécutés par les Juifs ». Je tiens à déclarer que, pour ma part, je suis Juif de par la naissance, et que si même Jésus avait été crucifié par les Juifs, je ne me considérerais pour aucunement responsable de sa crucifixion !
Puisqu’il s’agit aujourd’hui de rechercher la vérité historique, essayons tout de même de rappeler les faits, de replacer Jésus dans le cadre historique d’où l’on essaie de le tirer, et essayons de nous placer en Palestine au moment où éclate l’affaire de Monsieur Jésus.
Nous parlons d’une époque qui est, paraît-il, troublée par Jésus et le christianisme. L’abbé Candillon nous disait cela... Eh bien ! je crois qu’il se trompe à cet égard. L’époque est troublée, mais non pas à cause de Jésus. Elle est troublée parce que la position de Rome devient difficile. Elle est troublée parce qu’en Espagne, parce qu’à Rome même, se lève un mouvement à la tête duquel est placé Spartacus. C’est un mouvement de révolte général. Tous les peuples opprimés sous la domination des Césars se ressaisissent.
Et alors, que se passe-t-il en Judée et un peu partout, mais plus particulièrement chez les Juifs qui sont un peuple destiné à avoir des prophètes : il y a des prophètes qui se promènent à presque tous les coins de rues, si on peut appeler rues celles qui existaient à Jérusalem, il y a des prophètes un peu partout, parmi lesquels un prophète a pu s’appeler Jésus. On vous a dit tout à l’heure comment on pouvait croire ou ne pas croire à l’historicité de Jésus. Je pense et je crois avec Barbusse queJésus a véritablement existé, je crois qu’un homme a passé qui a peut-être dit ce très beau, très émouvant et très fameux discours sur la montagne ! Mais je dis : les Juifs ne sont pas responsables de la mort de Jésus !
Comment Jésus a-t-il été tué ? Il a été crucifié, sacrifice uniquement romain. Les Juifs possèdent dans leur code quatre sortes de mort, dans ces quatre sortes de mort, il n’y a pas la mort par la crucifixion. Donc c’est un jugement absolument et uniquement romain. (Applaudissements.)
Les Juifs ne sont donc pas responsables de la crucifixion de Jésus. (Applaudissements, bruits, protestations.) Comment voulez-vous que les Juifs persécutent les chrétiens qui n’existaient pas encore ?(Applaudissements.)
Comment voulez-vous que les Juifs persécutent d’autres Juifs ?...
Il y avait à Jérusalem, comme il y a aujourd’hui en France, et l’abbé a oublié de nous le dire, des hommes en lutte les uns contre les autres. Il y avait, comme il y a toujours partout dans tous les temps et dans tous les pays des classes et des luttes de classes. (Applaudissements.) Il y a en Palestine à cette époque une classe qui s’appelle la classe pharisienne et il y a également en Palestine une classe révolutionnaire. Il y a des gens qui ne veulent pas payer le tribut à César. Il y a des gens qui sont assez patriotes, parce qu’à l’époque le patriotisme était mêlé avec la révolution et qui ne veulent pas se soumettre aux décisions des Romains. Alors ceux-là sont peut-être entraînés par Jésus, par d’autres encore. Ce sont ceux-là qui veulent se soulever justement contre l’autorité des Césars et aussi contre l’autorité des Pharisiens qui sont inféodés au pouvoir des Césars.
N’accusons pas les Juifs d’avoir crucifié Jésus ou d’avoir cherché à faire du mal aux Chrétiens qui, comme je vous l’ai dit, n’étaient pas si nombreux, et qui, en tous cas, étaient des Juifs ; n’oublions pas que le fondateur de la religion chrétienne, celui qu’on appelle Saint-Paul, s’appelait Saül de Tarse et que c’est sur le chemin de Damas qu'il a vu apparaître une figure comme Sainte-Thérèse hystérique en a vu apparaître également ! Je tiens simplement à dire ceci : qu’il y avait en Palestine d’un côté des Révolutionnaires et de l’autre côté ceux qui défendaient le gouvernement romain parce que c’était leur intérêt, parce qu’ils représentaient la grande bourgeoisie du pays. Jésus était peut-être avec les Nazaréens qui étaient des révolutionnaires ; (d’ailleurs on l'appelle le Nazaréen, non pas parce qu'il est né à Nazareth, puisque vous avez essayé de nous faire croire qu’il est né à Bethléem, et nous croyons, nous, qu’il est peut-être né à Nazareth, mais cependant, s’il est né à Bethléem et qu’on l'appelle le Nazaréen, c’est sans doute parce qu’il appartenait à cette secte de Nazaréens qui était une secte qui, partout où elle se trouvait, luttait contre l’autorité romaine).
Je tiens à dire que les Pharisiens ont peut-être pu condamner Jésus comme ils ont pu condamner des révolutionnaires, cela se fait dans tous les pays ; aujourd’hui on enferme bien les révolutionnaires, partout on les opprime, on les pourchasse, avant qu’ils ne deviennent la vérité de demain. Je dis qu’il est possible que ces Juifs-là, — comme il y en a encore aujourd’hui, il y a bien des banquiers juifs qui soudoient ceux qui font de l’antisémitisme — je dis que ces Juifs-là ont parfaitement pu collaborer a la crucifixion de Jésus, mais on ne ptut pas dire aux Juifs qu’ils sont responsables de la mort de Jésus comme on ne peut pas dire que le peuple français est responsable d’un emprisonnement quel qu’il soit, pas plus qu’il n’est responsable des crimes qui se commettent tous les jours en Indochine ! (Applaudissements.)
Je tiens encore à dire ceci : Je crois que l’abbé Candillon sortira d’ici quelque peu libre-penseur. (Applaudissements, bruits divers.)
Après la conférence si parfaite de culture de Han Ryner, l’abbé n’essaye même plus de nous prouver la divinité de Jésus ; en somme, la thèse de l’abbé ce n’est pas du tout les miracles, ce n’est pas du tout la divinité de Jésus. Ce n’est pas du tout cela, c’est simplement : puisque vous en parlez encore 1900 ans après son existence supposée, c’est qu’il a existé. Donc, de là je peux aller de conséquence en conséquence et le considérer comme Dieu !
Mais non, mon cher abbé, il y a autre chose. Il est possible que dans 1900 ans les communistes établis partout considéreront que Karl Marx a été le fondateur du socialisme et on parlera de lui comme on parle de Jésus. Ça ne prouvera pas que Karl Marx est un Dieu, pas plus que la parole de Jésus ne prouve que Jésus soit une divinité. Ce que nous vous demandons, M. l’Abbé, c’est simplement de nous dire si Jésus est un Dieu, le reste ne nous intéresse pas parce qu’il a existé bien des hommes qui ont fait quelque chose et dont on parle encore. Platon aussi est encore aujourd’hui discuté, et nous le considérons simplement comme un philosophe ! Alors, si vous êtes d’accord avec nous, si Jésus est un prophète révolutionnaire, un philosophe, venez donc avec nous et jetez votre robe aux orties ! (Vifs applaudissements.)