Hommage spécial de "Perspectives France Israël" - Gaston Defferre

Retranscription

Intelligence et caractère

J'ai connu Lucien Rachet — c'était le pseudonyme de Lazare Rachline dans la clandestinité — peu de temps après qu’il eut été parachuté en France pour accomplir une mission au titre de la France Combattante.

Dès notre première rencontre, j’ai été frappé par son calme, son optimisme, sa modestie, qui faisaient un contraste étonnant avec le courage dont il faisait preuve. Il ne faut pas oublier en effet que tous ceux qui faisaient l'aller-retour entre l'Angleterre et la France ou l’Algérie et la France à cette époque étaient des volontaires et savaient qu’ils risquaient d’être arrêtés et fusillés. Beaucoup de nos camarades de la Résistance ont d'ailleurs choisi la solution de la mort en avalant la pilule de cyanure qu'on nous donnait au départ de Londres plutôt que de risquer de parler après avoir été arrêtés.

Par la suite, j’ai revu épisodiquement Lazare Rachline et c’est alors que j’ai connu son véritable nom. Il était devenu un homme d’affaires très important mais sa simplicité n'en avait été en rien affectée.

Il était gaulliste de sentiments mais restait très attaché à ses camarades de la Résistance quelle que soit leur appartenance politique. Lorsque j’étais candidat à la Présidence de la République, il était venu me voir pour me dire : « Je suis gaulliste » mais il a cependant tenu à me manifester son amitié en souvenir de l’époque où nous combattions l'un et l'autre pour le gaullisme qui était alors la forme la plus efficace du patriotisme.

Atteint une première fois par une crise cardiaque, il avait repris toutes ses activités mais, malgré les observations de sa femme et de ses amis, il refusait de se soigner et de se ménager comme il aurait dû le faire. Je me vois encore, un soir où nous dînions ensemble, lui enlever une cigarette des mains ; il lui était interdit de fumer.

Il ne transigeait pas avec ses principes. On ne peut pas dire de lui qu’il aimait la vie au sens qu’il n'était en rien un de ces hommes qui cherchent à tirer tous les plaisirs que l’existence peut donner mais il n'acceptait pas de limitations à son activité. C'était en quelque sorte contraire, non seulement à son caractère, mais aussi à la loi morale qu'il avait décidé de suivre.

Il était d’une grande bonté, d'une grande générosité et d'un parfait désintéressement. Il avait cette particularité très rare de réunir en lui des qualités à la fois d'intelligence et de caractère, alliées à un charme personnel très grand. Cela expliquait à quel point ses amis lui étaient attachés et quels regrets il a laissés.

Gaston DEFFERRE

Député, ancien ministre